Dans sa vaste tournée pour promouvoir la baisse de vitesse à 80 à travers la France, M. Barbe est passé nous voir dans le Vaucluse. Invitée, la FFMC 84 était présente à sa conférence au milieu des responsables de police, gendarmerie, divers services départementaux et associatifs... Prévenus par les antennes ayant subi l’exercice chez elles et habitués à ce genre de personnes, nous n’attendions pas grand chose de cette présentation jouée d’avance, mais elle n’aura pas été si inutile, car elle aura au moins permis de comprendre comment les partisans du 80 ont pu vendre cette mesure au Premier Ministre, entre autres.
Le discours est bien ficelé, étayé de jolis graphiques qui font bien "scientifique", et assené avec une conviction à faire pâlir un télé-évangéliste. M. Barbe a réponse à tout, il faut dire qu’à force de se faire allumer dans les médias et les débats, il a eu le temps de se roder aux contre-arguments. Quiconque n’est pas bien informé au préalable des enjeux réels ou est sujet par nature à un certain dogmatisme - sans parler de ceux qui gobent sans réfléchir la bonne parole gouvernementale - peut facilement se laisser convaincre. A défaut d’être compétents en sécurité routière citoyenne, les sbires le sont en communication. En gros le principe défendu c’est que moins on roule vite, moins les accidents sont graves, quelles qu’en soient les causes. Donc que l’accident soit dû à l’alcool, à la distraction, à une chaussée abimée, à un sanglier ou à une vitesse inadaptée, que l’on soit à l’origine de l’accident, que ce soit un tiers, tout est amélioré comme par magie. Il y a bien une certaine logique indéniable derrière tout cela. Oui la vitesse est un facteur aggravant, il serait absurde de le nier. Mais le raisonnement de cette politique ne tient pas.
Les études présentées sont biaisées et incomplètes, et M. Barbe a beau insister que ce soit issu de plus de 500 travaux internationaux depuis des décennies, si elles présentent les mêmes biais d’analyse, elles n’ont guère de valeur. On fait dire ce qu’on veut aux chiffres, surtout en occultant tant de paramètres pour ne garder que ce qui va dans le sens voulu. Par exemple, une bonne partie de l’argument est calculé sur l’accidentalité proportionnellement au kilométrage du type de chaussée... SANS prendre en compte le trafic ! On ne prend pas non plus en compte les causes de déclenchement, les situations exactes. Ainsi M. Barbe nous dit que nous motards devrions nous réjouir que les voitures roulent moins vite et réduisent ainsi la gravité des impacts... c’est bien méconnaître ce qui nous tue le plus !
Au-delà de ça, le point de divergence irréconciliable est bien la philosophie d’ensemble. C’est pour cela que le dialogue ne fonctionne pas (et probablement qu’il nous est refusé), pour cela aussi qu’ils ne comprennent pas que leurs mesures soient aussi mal acceptées par l’opinion publique, au point de devoir dépenser des millions en propagande pour faire passer la pilule. Ils assument l’impopularité car ils se disent convaincus de l’efficacité de la mesure, tout comme les prédicateurs assument de se prendre des portes dans la tête à longueur de journée car ils sont convaincus d’œuvrer pour le bien. Parler avec M. Barbe et consorts donne l’impression de débattre avec quelqu’un de profondément religieux, sur qui la logique et les divergences de points de vue n’ont pas de prise. Bien sûr ils disent entendre et respecter les différences d’opinion, être prêts à revenir en arrière dans deux ans, mais ce n’est que façade.
Ils ont vu un miracle, une solution universelle super pratique : en agissant sur le seul levier "vitesse", on joue sur toutes les causes. Celui qui roule bourré, l’accro du téléphone, le bigleux de service, la pelletée de gravillons, continueront de causer des accidents exactement comme avant, mais on espère que dans certains cas, la vitesse moindre permettra d’éviter ou d’atténuer le choc. Et vous savez le pire ? Ils n’ont pas forcément tort ! Mais ce n’est pas assez. Ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu. C’est un renoncement, un désengagement, un aveu de faiblesse caractérisé. Ils nous disent en gros : on n’arrive pas assez à faire évoluer les comportements, on n’arrive plus à entretenir optimalement les routes, on abandonne sur les causes d’accidents. Mais vous vous ferez peut-être moins mal. C’est une logique comptable emblématique de ce gouvernement, mais tout simplement inadmissible.
Le problème c’est qu’on a perdu toute confiance avec les dérives que l’on connaît au système de contrôle-sanction automatisé, qui ne font que s’amplifier. Le problème est qu’on sait que les solutions globales ne fonctionnent pas pour les cas particuliers, et réduire la vitesse partout, tout le temps, va annuler le gain de sécurité apporté par les bonnes solutions localement adaptées à des situations particulières. Le problème, on ne le répètera jamais assez, c’est que la vitesse n’est pas la question, et que cette baisse de limitation a pour effet pervers de braquer la population, au lieu de remporter son adhésion indispensable sur ces sujets. Le problème est qu’au lieu d’expliquer vraiment, on veut convertir, au lieu de responsabiliser, on lobotomise. Pour ces gens-là, la sécurité routière est devenue comme une religion pervertie, outil d’asservissement des masses au service des puissants, sous couvert de bien commun. Ce n’est pas notre vision de la société et de la route. Nous voulons des citoyens éduqués, conscients, une application de la loi et des sanctions proportionnels à l’enjeu et qui ne perde jamais de vue l’humain.
Un mot pour finir sur un des aspects du CISR : n’oublions pas qu’il contient bien d’autres mesures que les 80 km/h, certaines étant même plutôt pertinentes à défaut d’être originales, ne faisant que renforcer des dispositifs existants ou rappelant des vœux pieux déjà émis dans des CISR précédents. La mesure 15 propose d’autoriser l’allumage des feux de brouillard sur les motos, et nous avons attiré l’attention de M. Barbe, qui se présente lui-même comme motard passionné parcourant 10.000 km par an, sur le fait qu’il n’y a actuellement aucune moto qui en propose d’origine, très peu en option, et que l’offre d’accessoires de seconde monte est aux limites de la légalité. L’explication donnée est que faire évoluer la réglementation concernant les véhicules est un sujet européen très compliqué et très long (on en sait quelque chose !) et que cette approche est destinée à inciter les constructeurs à proposer plus de feux pour améliorer la visibilité... C’est encore un autre exemple qui ne tient pas et démontre une méconnaissance du sujet, malgré les concertations qu’il y a eu avec de vrais experts comme ceux de l’IFFSTAR. Augmenter le gabarit visuel pour améliorer la conspicuité (probabilité d’une personne ou d’un objet d’être vu dans un environnement donné) est une piste bien connue, mais des feux de brouillard ? Par définition, ils doivent être placés aussi bas que possible, sont éblouissants, de courte portée... et rien n’empêche les constructeurs de placer des feux adaptés, par exemple au dos des rétros ce qui est idéal... et que certains font déjà !
La sécurité routière est trop importante et quotidienne pour être traitée avec tant de dogmatisme et de mépris des usagers, à commencer par leurs représentants qui consacrent tant de temps et de ressources à participer au CNSR sans être écoutés ni consultés.
Frédéric - FFMC 84